Épave

Ce petit bec de crustacé en bourgeon calcifié, assez commun sur les côtes de l’Hexagone, est un balane et l’un des nombreux témoins des grands bouleversements climatiques actuels : sans eau, il vit au ralenti sur son rocher ; c’est parfois sur une coque de navire, ou contre un pieu. (Étant moi-même assez bien taillé dans le bois d’un chêne, entre deux marées, c’est toute une colonie de balanes qui s’est ensoleillée sur mon cœur au bois dormant…) Or là, en ouvrant leurs deux paires de plaques mobiles sur le dessus, on la réveille à l’unisson. Hélas ! Elle est aveugle et sourde !

Il me faut lui décrire ce que je vois : laisse embarquée sur son treillis de ferraillage, ou rêve soudé au débarquement ? (On adhère où l’on prend le ressac, n’est-ce pas ; alors, disons-le : lorsque parfaitement civilisé, c’est ici un geste du génie !) Le socle est en effet une armature de béton, c’est inouï. Pour un amateur d’art, de la polysémie berce une coque d’épave, et l’on en reste estomaqué ! car la nappe est aussi la sculpture… Ici ou là, donc – un peu plus d’attention, s’il-vous-plaît –, on accroche !

Or, comme il faut bien la pousser pour la poussière, cette Épave, et que ça le ferait donc moyen sur un buffet s’il faut aller convaincre l’épouse – un buffet en noyer ciré avec soin, s’il faut le préciser –, par la compression de tous les ciments du siècle j’entends s’écrier, du fond de mon torse et pour le libérer d’une oppression de perte (car s’il est sourd parfois, mon cœur n’est pas muet) : « Plaçons dessous de la dentelle ! » Ainsi en va-t-il de cette anse éclairée par un phare : cette sculpture y a ses entrées. Zuria, en parfaite compagne et fidèle à mes goûts, était-elle aussitôt d’accord ? Le commentaire ne se prononce pas…

Exhalaison exorbitant l’oxydation de mes bronchioles, demain, sans défaut, j’attendrai – au sein de mes balanes – d’autres vagues, d’autres poussées de sang mêlées d’algues… Car c’est spontanée qu’est mon épouse, et je ne m’y trompe pas : l’Épave de monsieur Tourtel est une mise en œuvre, et ce cri du cœur est un bollard !