Dévotion…
(Ou de la célébration de la fourrure.) Elle est absolument simple, et c’est tout.
La Forme 35 est enfin aboutie : c’est un diptyque.
Représentation de la Terre-Mère en maîtresse des plaisirs, effigie de vieux phoque orgiaque.
Elle est debout, vue de trois-quarts dos ; vue frontale, en très légère plongée, c’est un nu masculin couché : le plan est horizontal.
Véritable dévalaison de lumière (une optique avec lentilles de Fresnel), elle ouvre – authentique mensa romaine – un « puits écologique », auquel répond le grand mammifère marin allongé sur l’estran de son socle d’abaque.
C’est à seule fin de compter, avec plus d’application, les alevins de vif-argent sortis du ventre de la Vénus à la fourrure, qu’il s’est redressé sur un matelas riche en micro-organismes (diatomées) et en invertébrés primitifs (arénicoles).
Pour le recyclage des déchets, il n’a pas son pareil : ce banquet mirifique, il l’appelle et le veut ; elle est alors une conserverie, et la scène au fond n’est peut-être qu’un banal triclinium côtier moderne.
On l’imagine ainsi, somesthésique, accoudé sur la palette natatoire antérieure gauche à sa banquette en sigma, le proboscis en œuvre pour tenter d’effectuer le minutieux comptage des alevins d’argent s’écoulant, plus ou moins lentement, de la déesse de l’amour, de la séduction et de la beauté.
Elle présente un geste similaire à celui de la Forme 12 (ensemble des systèmes), qui initiait le regard des internautes et des cybernautes – et de leur pendant machinique, le crawler – par des traces de sable mouillé sur l’estran.
La maîtresse de cérémonie lui présente-t-elle ses bacchantes ? Le phoque se prosterne devant la Vénus de bois et de calcaire…
Il est bouche ouverte, esquissant une position en arc.
Ici, toutefois, ce sont les deux premiers clichés qui figurent l’accroche d’une série de sept photos : face à « Noé » – en Vénus de Willendorf revisitée – ouvrant l’arche aux animaux, le premier à répondre à l’appel est évidemment un mammifère marin. Ce premier pan de la Forme 35 ne fait donc qu’idéalement face au second.
En effet, cette interprétation n’étant valable que pour les photos – les sculptures restent dans tous les cas indépendantes l’une de l’autre –, c’est alors une « Terre-Mère » maritime à tête lunaire incrustée d’étoiles (un polypier figure un filet à chignon en coton perlé crocheté à motif d’asters) et au corps de litière et d’humus qui, dans un geste d’appel et de protection, ouvre son manteau devant ses créatures. (Anticiper que la Forme 36 représentera un arsenal de la séduction !)
Tête nue, il présente toutefois quelques poils, ainsi que des vibrisses, et son nez en forme de trompe est en position retroussée : on dit alors qu’il bêle, rugit ou grogne (en fait, il vénère en chantant sa muse) !
Il a la nuque nimbée de lumière aurorale et de silice, et son dos a conservé les traces de son bain de sable frais de la nuit.
Il est possible de séquencer ainsi : soit la Forme 35 proprement dite est déjà contenue dans la fourrure de « Dame Nature », et c’est alors un engendrement autant qu’une vue amniotique sur Sa matrice, soit c’est une proposition péripatéticienne de sa part, et nous serions alors témoins, et, bien malgré nous, voyeurs tout à la fois, de cette mise en éclairage de l’un de ses clients.
De là l’intérêt, dans la série, de la Forme 36 : le diptyque devient triptyque et, dès lors que modulé, quand l’allégorie n’en est pas pour autant à plagier ces tableautins en style précieux de Marie-Anne Bruch (Le Musée d’Art Moderne), c’est une succession profane qui s’offre au regard !
Le phoque est désormais étendu dans les algues de la cagette de déchets de poissons qu’elle lui tend : sous la Lune, il semble plus pâle sur cette banquette verte où fleurissent des embruns…
D’abord, ce sont donc sept photos : deux de Vénus en Terre-Mère, puis cinq ; lesquelles se séquencent comme suit : deux de « l’éléphant de mer du nord » (dans leur meilleure exposition, id est in situ : un écrin de verdure, avec terrasse et coin cosy, etc.) ; une de ce qu’il pourrait devenir, dans un temps infiniment lointain ; deux du même grand phoque en situation d’objet d’art. (C’est la séance photo, le gentil toutou à sa maman, tout beau tout propre, est dûment préparé pour le concours de beauté !) Cet « objet d’art » l’est à l’instar d’une plante cueillie, c’est-à-dire extraite de son milieu et placée dans un herbier ; mise en scène qui permet au regard éclairé d’apprécier toute la nécessité du cadre et du choix qui, parfois, peut s’imposer ; également de préciser la Forme en soi, ses caractéristiques intrinsèques : contour, texture, couleur, volume, etc.
Pour revenir à Sa matrice et, de là, à l’ensemble de ses rapports avec la Lune, avant de les déposer sur l’estran : en tant que générateur formel, avant d’envoyer le tout vers les mains du potier accoucheur, autrement dit au rivage, cette machine biologique à créer des formes en les berçant, ainsi qu’œuvrent sur l’océan des milliers de vagues-bras, n’est ici qu’un moyen du diaphragme et de respiration.
Pour revenir à l’écrin de verdure, avec terrasse et coin cosy : l’ombre des plantes des photographies de la Forme 47, intitulée Reclining project, amorce un itinéraire analogique avec la prise électrique du décodeur ; rappelons-nous que le premier film classé X de la chaîne Canal+, diffusé le 31 août 1985, avait pour titre « Exhibition » ; et, non moindre remémoration, qu’il était destiné à une catégorie socioprofessionnelle particulière : cadres, professions libérales, etc. De là à en déduire, immergé dans une luxure de clarté et tout dégoulinant de débauche aqueuse, que notre phoque impétrant appartient à cette catégorie, il n’y a qu’une palette natatoire antérieure droite… Non : c’est un prolétaire de la mer, que ce colon lointain, une matière première qui n’est pas passée, du moins en Occident, dans les habitudes de la gastronomie en général et de la consommation carnée en particulier. (Pour se documenter sur l’arche de Noé, relire le livre de la Genèse, du chapitre 6 au chapitre 9.) Plus sérieusement, afin de pointer les analogies formelles (entre la sylve vive et le bois flotté certes, mais alors seulement après être passé par celles qui s’imposent ici au regard entre la carte électronique et la sylve, ainsi qu’entre le bois flotté et les composants de la carte) et fonctionnelles de la démarche plastique du Collant (le cycle de la lumière et l’énergie, transformés par les composants électroniques, et l’informatique en général, en tant que moyen de dématérialisation du réel), autant que la cagette de déchets de poissons qu’elle lui tend, ce coin cosy s’imposait pour cadrer notre thème.
Emballé, c’est pesé… Sans s’apercevoir qu’il lui manque un morceau de barbaque, l’éléphant de mer ventripotent s’en retourne tout content. Le marin pêcheur, de s’en frotter les mains, est revenu à son étal : « Et pour vous, ma petite dame ? — Une escalope de veau de mer à la hausse sur Artprice, s’il-vous-plaît… »
Pour revenir à ce temps assurément lointain, mais concevable, d’un devenir possible des mammifères marins : lorsque nous aurons tout ravagé, ce qui est déjà bien consommé, dans un sens évolutif, parallèle à celui de l’être humain, mais plus lent, que deviendraient les lamantins, les éléphants de mer, les phoques, les dauphins, ou je ne sais quel autre cousin éloigné, s’ils venaient à survivre dans un environnement post-apocalyptique, et à demeurer après la catastrophe écologique : des créatures de l’amnios (la mer, l’océan), c’est-à-dire dans une situation embryonnaire, et des êtres de la catastrophe industrielle (la nature étant définitivement dénaturée), reprendraient-ils la lente émergence qui a conduit à hybrider la technique à un mammifère génocidaire ?
Si ce n’est la voie humide de l’aquarelle, alors ce serait peut-être le début terrestre (et marin) de l’amour ?
(La « COP21 » n’est qu’un leurre et chacun au fond de soi le sait, ou ne devrait pas l’ignorer.)
Des « larves » ultra-sensibles et vivant en harmonie avec leur écosystème pourraient-elles rejouer mieux le jeu du télé-finalisme de l’intelligence abstraite en acceptant de préserver les espèces, et donc leurs milieux, au moyen d’une conscience holistique acceptée et enfin prise réellement en compte ?
L’humain alors, en tant qu’imago déréalisé, post-abouti, aurait simplement excédé ses fonctions (préparer le terrain) et raté son rôle d’accoucheur ; et, surtout, aurait failli à les accueillir comme ses pairs vraisemblables….
Pour l’enveloppe acoustique, en écoutant Jellyfish So Like The Moon de Steve Roden, recorded, generated, and organised at the Bubble House; July – September 2000.